lundi 25 août 2014

La fameuse loi 51

·     Salut!

(   (Note à tous: j'ai commencé à rédiger ce billet longtemps avant les annonces de la semaine dernière concernant les coupures des budgets d'achats de livres aux bibliothèques scolaires et les déclarations du Ministre de l'éducation concernant les livres et les écoles.  N'y voyez aucun lien sauf ma décision de publier ce billet à ce moment-ci.  Dans les faits, il cogite dans ma tête depuis plus d'un an, depuis la Commission sur le prix réglementé du livre de l'automne dernier.) 

Bon, je m’attaque ici à un sujet qui touche aux fondements du monde du livre au Québec.  Si je me permet un tantinet de pédagogie, c'est que j'ai constaté au cours des derniers mois que la majorité du public juge la situation des librairies au Québec en ayant en main bien peu d'éléments pour comprendre le milieu.  Je me risque donc à expliquer un peu plus comment les choses fonctionnent.  Évidemment, je ne détiens pas la vérité et certains informations peuvent m'échapper, mais tout de même, ça pourrait vous aider à comprendre certains points.  Je crois que l'une des choses les plus méconnues du milieu du livre est la fameuse loi 51 et ses effets sur le milieu du livre.  Permettez-moi donc ce long billet explicatif sur le sujet. 

      Au début des années 1980, le gouvernement du Québec a voté la Loi québécoise sur le développement des entreprises du livre, aussi appelée loi 51, ou loi Vaugeois, du nom de l’éditeur qui l’a poussé, Denis Vaugeois.  Cette loi obligeait les librairies à obtenir un agrément pour pouvoir faire des ventes aux institutions (bibliothèque, école, etc).  Cet agrément leur mettait une série de contraintes, dont celle, la plus connue, est l’obligation de tenir un minimum de 6000 titres en magasin, dont 2000 titres québécois, dans six domaines précis Oeuvres d’imaginations, Beaux-Arts, Sciences humaines, Encyclopédies et dictionnaires, Livres scientifiques et techniques, Vulgarisation scientifique, Littérature de jeunesse).  Ici, il se noue un genre de pacte entre les différents intervenants du milieu du livre et c’est sans doute le point le plus important à savoir pour comprendre le milieu du livre au Québec : en échange de ventes garanties aux institutions (plus couramment appelées collectivités) et d’une remise de 40% garantie sur les livres, les librairies se devaient d' «offrir dans son aire de vente, des nombres minima de titres selon sept catégories spécifiques précisées dans l’annexe du Règlement», d’«[…] exploiter un établissement commercial facilement accessible de la voie publique»,  qui est aussi «[…] suffisamment identifié, comportant une aire de vente et d’étalage réservée aux livres dont ceux requis pour se conformer à l’agrément», qui est «[…]ouverte toute l’année[…]», tout en  «[…]donnant suite dans un délai raisonnable à toute commande de livres» et en «[…] en s’assurant de la qualification de son personnel et de la variété des stocks pour répondre aux besoins des clients.»  Je me contente de citer la loi, tout est facilement vérifiable à cette adresse : http://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=4399.  En faisant cette loi, le gouvernement confiait à l’entreprise privée la responsabilité de la disponibilité, tant physique que géographique du livre au Québec.  C’est un cas assez unique sur notre belle planète.  Je connais bien des cas de prix unique dans le monde, mais pas les conditions des librairies agréées.  Ce système nous est propre.  Et ça a marché!  Les librairies, voyons leur avantage dans le système, ont massivement préféré l’agrément, malgré ses contraintes.  La majorité des librairies généralistes sont agrées au Québec.  Ce qui assure un espace de diffusion et un réseau de distribution à la majorité des livres publiés au Québec: ne peuvent vendre aux collectivités locales que les librairies présentes dans leur région administrative.  Ainsi qu’une équité dans les prix : que vous soyez à Matane ou à deux pas de chez l’éditeur, vous payer le livre le même prix.  Ces conditions de base assurées, les librairies, et bien, en ont profité!  Autour de ce noyau, un réseau de mise en vente s’est mis en place.  Plusieurs régions qui autrement n’auraient pas de librairie en ont une qui fournit les écoles et les bibliothèques locales.  On voit ici un cas positif d’alliance entre l’entreprise privée et le gouvernement public.  Une sorte de PPP avant l'heure quoi!  Les deux ont des avantages dans cette façon de faire.  En garantissant des ventes au prix régulier (c’est aussi mentionné dans la loi) dans les institutions, le gouvernement fournissait une subvention indirecte aux librairies, mais une subvention qui revenait directement dans la communauté en permettant l’accès au livre, à la fois pour l’achat (librairie) et la location (bibliothèque scolaire et municipale). 
Un système magnifique non?  Sauf que pour perdurer, il faut que tout le monde le maintienne.  Le premier à céder dans ce domaine a été le gouvernement.  Durant les années 1990, il a largement coupé dans les budgets d’acquisition des bibliothèques, tant scolaires que publiques en vue d'atteindre le déficit zéro.  En faisant ça, il a littéralement coupé une partie des vivres aux librairies, tout en maintenant ses conditions d’agréments.  Assez paradoxal!  Le système aurait quand même pu continuer à tenir, parce que quelque chose avait été construit avant : un réseau.  Une clientèle fidélisée, grâce à une bonne accessibilité et une variété assurée.  Une expertise développée.  Grâce à plein de petits détails qui font d’une bonne librairie une bonne librairie.  Sauf que.  Voilà le hic.  Au tournant des années 2000, le réseau de Grande diffusion (qui a toujours existé, mais n’a jamais eu accès aux ventes institutionnelles) a décidé de changer de tactiques commerciales.  Au lieu de faire de la compétition sur la qualité de service, le choix, l’accessibilité, ils se concentreraient sur le prix et uniquement sur lui.  Aucune ambition sur le plan strictement littéraire, ils ne tiendraient que les livres trônant au sommet des palmarès et ce, à prix coupés.  Seulement, voilà, le principe de base du fonctionnement d’une librairie, que la loi 51 est venue renforcer est le même depuis fort longtemps.  Il a été énoncé par Denis Diderot en 1763 dans sa désormais célèbre Lettre sur le commerce des librairies, tel que ceci «Un fonds de librairie est donc la possession d’un nombre plus ou moins considérable de livres propres à différents états de la société, et assorti de manière que la vente sûre mais lente des uns, compensée avec avantage par la vente aussi sûre mais plus rapide des autres, favorise l’accroissement de la première possession. Lorsqu’un fonds ne remplit pas toutes ces conditions, il est ruineux.»  Deux points importants, de un, en parlant de libraires, Diderot ne parlait pas des libraires au sens moderne : à l’époque, éditeur et libraire étaient deux fonctions fusionnées.  De deux, s’ils sont distincts aujourd’hui, le fonctionnement de base est la même : en échange de ventes rapides sur un petit nombre de titres, la librairie (et l’éditeur car c’est lui qui rend les livres disponibles sur le marché), rend un plus grand nombre de titres aux ventes lentes, mais essentielles à une saine diversité (classiques, ouvrages de philosophie, poésie, format poche, je peux multiplier les exemples).  C’est justement ce principe que vient bousculer les grandes surfaces par leur choix de couper les prix et de ne prendre que les ventes «faciles».  Par cette méthode, ils viennent bouleverser l’équilibre du réseau mis en place depuis trois décennies.  Et ils touchent autant les éditeurs, les distributeurs, les libraires et les auteurs, parce qu'en rendant les libraires responsables de la diffusion physique des livres, le gouvernement ne se préoccupe pas de cette partie de la vie littéraire, pourtant vitale.  Et je ne parle pas ici de l'arrivée de l'empire au sourire en coin qui s'est ajoutée en plus.  
Certains y ont trouvé leur compte.  Dont certains éditeurs.  C’est vrai!  Ils se sont glissés dans le maillon faible de la loi et le gouvernement n’a rien fait pour réagir.  Seulement, le réseau des librairies ne peut pas continuer en perdant autant de ventes.  D’autant plus que la baisse des ventes aux collectivités ne peut plus compenser et permettre au réseau actuel de se maintenir.  La proposition sur le prix réglementé (et non unique comme beaucoup l'ont dit!) faite l'automne dernier visait avant tout à réajuster le tir.  Il permettait de combler la faille dans la loi qui a permis au marché des grandes surfaces de fleurir.  Je sais que de nombreuses personnes n'étaient pas d'accord avec ce principe et je respecte leurs arguments, là n'est pas mon propos.  Je veux simplement dire que dans le cadre de la loi 51, l'ajout du prix réglementé n'était pas une grande révolution, mais simplement au ajustement au monde actuel et à ses réalités.  La loi a 33 ans et n'a pratiquement pas été révisée depuis, même si le numérique et internet sont venues brouiller les cartes.  

Pendant ce temps, les conditions de l’agrément des librairies n'ont pas changé!  C'est sans doute ce qui est le plus étonnant dans tout cela.  Juste l'obligation d'avoir: «un établissement commercial facilement accessible de la voie publique» signifie que les librairies doivent se situer dans des rues achalandées ou dans des centres commerciaux où les loyers ne sont souvent pas donnés.  Le cas récent de la faillite de la librairie Clément-Morin le prouve amplement.  D'un autre côté, les bibliothécaires comptent depuis des années sur les libraires et leur collaboration a permis de nombreux échanges fructueux.  Par contre, cela a amené un transfert de compétences qui se perdrait si on ne soutient pas le réseau mis en place.  Même si on peut comparer le réseau québécois sur certains points à ailleurs dans le monde, notre modèle est unique tout comme notre culture.  Et la loi 51 a joué un rôle central dans cette différence.  Maintenant, maintenir ce système qui bien qu'imparfait, rempli le rôle qu'on l'a chargé de jouer ou jeter le bébé avec l'eau du bain et risquer de laisser carrément de laisser en plan tous les autres acteurs du milieu (éditeur, auteur, bibliothécaire et le plus important, lecteurs!)?  Poser la question c'est y répondre.  Si on détruit le réseau actuel, il y a peut de chance d'en recréer un si bien répandu et employant des gens d'expériences.  Surtout dans les circonstances actuelles.  Savoir quoi faire et comment le faire pour l'améliorer et le rendre plus performant pour le XXIe siècle par contre, c'est une tout autre question.

@+ Mariane

1 commentaire:

Prospéryne a dit…

Désolé pour le blanc du billet, c'est ce qui arrive quand on tape un truc via Word et non blogger...